dimanche 27 janvier 2019

UTOPOS



La danse est partie
Laissant mon corps
Défait de tout langage
 
Mon corps est parti
Laissant la pensée
Inapte à le retenir

Sans mot
Sans mouvement
Où est-on ?







UTOPOS

 
El baile se fue
Dejando mi cuerpo
Fuera de todo lenguaje
 
Mi cuerpo se fue
Dejando el pensar
Inapto para retenerlo
 
Sin palabra
Sin movimiento
¿Dónde está uno?
   


dimanche 11 novembre 2018

11 novembre 2018


A mon père, Jean-Bernard Jarry

 
Le peu que je sais
De la Première Guerre Mondiale
Me vient de ma mémé
Et de son fils
Mon père
 
Ma mémé est née en 1911 à Vincennes
Je crois que pendant la Guerre
Elle est allée en Creuse
Avec sa mère et son frère
Pendant que son père était envoyé au Front
 
Le père de ma mémé est « rentré »
Je crois que ma mémé et sa famille
Sont retournés vivre à Vincennes
 
Le père de ma mémé n’est pas « rentré »
Les gaz inhalés là-bas
L’ont emporté ici
Chez lui
Devant ma mémé
 
Je sais que ma mémé aimait beaucoup son père
Qu’elle l’a perdu avant d'avoir dix ans
 
Le premier mari de ma mémé
Victor Perrotte
Est né en 1904 –
Son père à lui
Robert
N’est pas revenu du Front
Il est mort
Avant le 11 novembre
Le 27 août 1918
Sur sa tombe il y a une plaque qui dit
« Soldat 13 410 – 412e RGT D’INF »
 
Le père de mon père
Est né en 1898
Ses deux frères ainés
Sont morts dans les tranchées
Quand il a eu l’âge
Il y est allé
C’était la fin de la Guerre
Il est revenu
Il était jeune
Il semble qu’il ait souvent raconté
Comment il avait échappé à un tir d’obus
S’était retrouvé tout éclaboussé de boue

Si j’ai écrit le nom
Du premier mari de ma mémé
Victor Perrotte
C’est parce que ce nom est gravé sur un monument
Celui de la Croix des Martyres
Du 8 juillet 1944
A Magnac-Laval
Dans la Haute-Vienne
Deuxième Guerre Mondiale
Résistant
Dénoncé
Fusillé
Avec vingt-deux autres personnes
 
Jean Jarry
Le rescapé de cet obus de 1918 –
Pas encore père de mon père
Sans avoir rencontré –
A mené une bataille d'un autre type
L’historiographie
Pour la Mémoire
 
Pour qu'à l'endroit même
Où est gravé
Le nom du premier mari de ma mémé
Ne soient pas confondus
Les véritables assassins
Pour que soit gravé ce mot
Que j’ai mis tant de temps à comprendre
« Milice »
 
                     *      *      *
 
Il y a un siècle
Ma mémé avait sept ans
Elle s’appelait Marthe

Elle aura porté quatre noms
Leprat – Perrotte – Dutroux – Jarry

Aujourd’hui
11 novembre 2018
Mon père
Jean-Bernard Jarry
Se tient devant le Monument aux Morts
Où sont gravés 283 noms
Ceux des jeunes soldats décimés au Front
En août 1914
Où on peut lire ce nom
Charles Guingouin
Père de Georges Guingouin
Libérateur de Limoges en 1944
Mais ce serait une autre histoire

Depuis 1995 mon père est le maire de Magnac-Laval
Ma mémé est morte en 1993

 
                     *      *      *
 
Ma mémé m’a sauvée
Je lui dois la vie dans la vie
Je lui dois mon père
Qui continue



(A gauche, ma mémé, vers 1930)
 
(A gauche, Georges Guingouin,
et à côté de lui, Jean-Bernard Jarry, mon père)
 
 
*             *             *
 
(Le livre de marbre fait faire par ma mémé en 1944
pour son premier mari, Victor Perrotte)
 
(Plaque de Soldat mort au Front du père
du premier mari de ma mémé)