samedi 28 novembre 2015

POEMA DEL MAR (3)



(3) SENTIR 

Y fue la gran marcha
La despedida definitiva de la urbe
Rumbo al norte
Hacia el país del que iba huyendo ella

Fue dejar la ciudad
Y entrar en lo salvaje
“Viento fuerte y alta mareada”
De ponerse sí o sí los chalecos
Salvavidas
            – Así se llaman

Con el viento atrás
Y las olas locas
¡Ahora sí
Que se sentía la velocidad del velero!
De los elementos
Del viaje

¡Cuánta velocidad!
Para dos
Que apenas se conocían

Cortó salchichón él
¿Cómo hacer eso
En tanto caos?
Podía hacerlo, él
¿Cómo pensar en comer?
¿Pensar en necesidades que parecieran
Tan fuera del momento?
           – El cuerpo de ella
  Siempre desapareciendo
  Frente a las cosas
  Del mundo

Había que comer
Hay que comer
Siempre
Antes que lo otro
Cualquiera sea

Y evacuar
Devolverle la orina al mar
Adentro-afuera
El mismo movimiento
De la danza
El cuerpo

En equilibrio precario arriba del vacío del mar
A la velocidad del velero
Dando los mismos saltos frente a los impactos fuertes
Para evacuar
Y mirar mezclarse los líquidos
El azul profundo con el amarillo soso
La misma sal

Comer
Y dormir
– Creo que se fue a dormir
Pero no estoy segura –
Intentar
Dentro de la panza-trampolín del barco

¿Cómo dormir dentro de tanto mover?
Si el movimiento es vida
¿Cómo dormir?
Cuando quería tanto vivir
Cuando sentía tanto la vida
La contradicción
¿Cómo dormir y cómo no dormir?
Luchar con el sueño o entregarse
Descansar
Dentro de aquella explosión vital
De la Pachamamá

Creo que se entregó
Que pudo hacerlo
Re-unirse con
Sin fuerza
El mar
El desequilibrio
El mundo

Creo que sí
Dentro de la confianza de aquel hombre
Apenas conocido
Que domaba la fiera

Y que despertó
Con él
Que durmió y despertó – con él
Que pudo dormir y despertar – de buen humor – con él
Dentro de aquel magma inefable de lo azul

A la izquierda, aún, la tierra
La misma costa que días atrás
En tren
Los mapas y los libros, ahora
Para mirar en qué quedar a la noche
Arenys-de-Mar

Donde se calmó todo
El viento, las olas, el sol, los respingos
Por más que fuera difícil aparcar
Con ese barco que tenía casi la misma edad – que ella
En un lugar tan delicado

Otro viaje
Dentro del olor a tiempo pasado
De la madera de la biblioteca
De la chimenea

La elegancia
De la gente mayor sentada en las mesas
De los niños aprendiendo a nadar a la mañana
En aquella piscina
Convertida para ella
En bañera
Cuando la llegada

Agua pacífica
Donde recobrar después del altamar
El cuerpo – de ella
Entero
Recibido por el agua
Dentro
Al atardecer

Cuando cocinaba él – para ella
El olor a chorizo frito
Cando intentaba ella sacarle fotos – a él
Cazando
La hermosura
Que seguía escondiendo

Dentro del pudor de sus manos enormes
El corazón atado por alambre
El baile debajo de la luna
Frente al mar






(3) EPROUVER

Et puis ce fut le grand départ
Le dernier au-revoir à la ville
Vers le nord
Son pays qu’elle fuyait

Sortir de la ville
Et entrer dans la sauvagerie
« Vent fort et mer agitée »
A mettre les gilets de sécurité
          – En espagnol on dit
          « Qui sauvent la vie »

Le vent dans le dos
« Au portant »
Et les vagues folles
Maintenant c’est sûr
On sentait bien la vitesse du voilier !
Des éléments
Du voyage

Quelle vitesse !
Pour deux
Qui venaient tout juste de se rencontrer

Il a coupé du saucisson
Comment faire ça
Dans un tel chaos ?
Il pouvait, lui
Comment penser à manger ?
Penser à des choses qui semblaient
Si loin du moment ?
          – Son corps à elle
          Toujours à disparaître
          Face aux choses
          Du monde

Il fallait manger
Il faut manger
Toujours
Avant le reste
Quel qu’il soit
 
Et évacuer
Rendre l’urine à la mer
Dedans-dehors
Le même mouvement
Que la danse
Le corps

En équilibre précaire au-dessus du vide de la mer
A la vitesse du voilier
A tressauter pareillement aux grands impacts
Pour évacuer
Et regarder les liquides se mêler
Le bleu marine au jaune fade
Le même sel

Manger
Et dormir
– Je crois qu’elle est allée dormir
Je n’en suis pas sûre –
Essayer
Dans le ventre-trampoline du bateau

Comment dormir dans tout ce mouvement ?
Et si le mouvement est  vie
Comment dormir ?
Quand elle voulait tellement vivre
Quand elle sentait si fort la vie
La contradiction
Comment dormir et comment ne pas dormir ?
Lutter contre le sommeil ou se donner
Se reposer
Dans cette explosion vitale
De la Pachamamá

Je crois qu’elle s’est donnée
Qu’elle a pu le faire
Se ré-unir avec
Sans force
La mer
Le déséquilibre
Le monde

Je crois que oui
Dans la confiance de cet homme
Qu’elle connaissait à peine
Et qui domptait la bête

Et qu’elle s’est réveillée
Avec lui
Qu’elle a dormi et qu’elle s’est réveillée – avec lui
Qu’elle a pu dormir et se réveiller – de bonne humeur – avec lui
Dans ce magma ineffable du bleu

A gauche, toujours, la terre
La même côte que quelques jours auparavant
En train
Les cartes et les livres, maintenant
Pour regarder dans quel port passer la nuit
Arenys-de-Mar

Là où tout est redevenu calme
Le vent, les vagues, le soleil, les bondissements
Même s’il a été difficile d’amarrer
Avec ce bateau qui avait presque son âge – à elle
Dans un lieu si précis

Un autre voyage
Dans l’odeur du temps passé
Du bois de la bibliothèque
De la cheminée

L’élégance
Des gens âgés assis aux tables
Des enfants qui apprenaient à nager le matin
Dans cette piscine
Devenue pour elle
Baignoire
Le soir de l’arrivée

L’eau pacifique
Où récupérer après la haute-mer
Son corps – à elle
Entier
Accueilli par l’eau
Dedans
Au soleil couchant

Quand il faisait la cuisine – pour elle
L’odeur du chorizo frit
Quand elle tentait de le prendre en photo
Qu’elle chassait
La beauté
Qu’il continuait de cacher

Dans la pudeur de ses mains immenses
Son cœur cerné par le fil barbelé
Sa danse sous la lune
Face à la mer



lundi 16 novembre 2015

CARILLON

 
Aujourd’hui je ne suis pas au Carillon
       Je n’y ai pas pris le café
       Qu’il me sert depuis des années
       Sans que j’ai même à le demander 
 
Aujourd’hui je ne suis pas au Carillon
       Je ne suis pas en train d’y écrire
       Ou d’y pleurer
       En même temps
       Comme tant de fois
       Pendant ces années les plus difficiles de ma vie
       Sous son œil attentif et respectueux 
 
Aujourd’hui je ne suis pas au Carillon
       J’ai seulement pu y déposer
       Un bouquet de tulipes blanches
       Après être allée vérifier
       Samedi soir
       S’il était en vie
 
Aujourd’hui je ne suis pas au Carillon
       Et ce week-end
       A Paris
       Nous n’avons pas pu danser 
 
Aujourd’hui je ne suis pas au Carillon
       Et certains
       A l’étranger
       Me reprocheront ma peine
       Me blâmeront de ne pas pleurer tous ceux
       Que le monde assassine
       Tous les jours 
 
Je ne suis que corps
Je ne suis que là où je suis
Je ne pleure que ce qui m’est proche
– par honnêteté intellectuelle, par affectivité
Je n’ai pas assez de larmes pour tout pleurer
Tous les morts que le monde fait tous les jours
Je suis limitée
Je suis humaine
Je suis imparfaite 

Aujourd’hui je ne suis pas au Carillon
        J’ai dû trouver un autre refuge
        Rue Bichat toujours
        Pour faire ça
        Ecrire 
 
Aujourd’hui je ne suis pas au Carillon
        Et j’aimerais crier 
 
Aujourd’hui je ne suis pas au Carillon
        Et samedi soir
        Je l’ai vu pleurer
        Et de façon contradictoire
        J’ai été heureuse
        De le voir
        En vie 
 
Aujourd’hui je ne suis pas au Carillon
        Mais je sais qu’ils ne sont pas tous morts
        Même si je l’ai entendu dire ça
        « Oui, je suis en vie, mais bon… »
        Secoué par les sanglots
        Dans une dignité inqualifiable 
 
Aujourd’hui je ne suis pas au Carillon
        Où cette famille venue d’Algérie
        Fabriquait ce lieu hétéroclite
        Où tous les âges
        Toutes les professions
        Toutes les couleurs
        Mathieu Amalric
        Des agents d’entretien de la ville de Paris
        Cet homme souffrant certainement de psychose
        Des amateurs de foot
        Des parents qui emmènent leurs enfants à l’école
        Le chat qui a choisi cette maison
 
Aujourd’hui je ne suis pas au Carillon
        Là où le 7 janvier
        Vers 12h30
        J’ai appris l’impossible attentat de Charlie Hebdo
        A quelques rues seulement 
 
Aujourd’hui je ne suis pas au Carillon
        Je suis à 50 m
        Je suis là
        Je ne suis pas ailleurs
        Je vis ça
        Je pleure ça
        J’écris ça 
 
Pardonnez-moi de ne pas pouvoir
Tout pleurer
 
De n’être
Que là où je suis
 
 
 



Hoy no estoy en el Carillon
            No tomé el café
            Que me sirve desde hace años
            Sin que ni siquiera tenga que pedirlo 

Hoy no estoy en el Carillon
            No estoy escribiendo ahí
            O llorando
            Las dos cosas a la vez
            Como tantas veces
            Durante aquellos años más duros de mi vida
            Bajo su mirada atenta y respetuosa

Hoy no estoy en el Carillon
            Sólo pude depositar ahí
            Un ramo de tulipanes blancos
            Después que haber averiguado
            El sábado a la noche
            Si estaba vivo 

Hoy no estoy en el Carillon
            Y este finde
            En París
            No hemos podido bailar 

Hoy no estoy en el Carillon
            Y algunos
            Desde fuera
            Me reprocharán mi pena
            Me reprobarán por no llorar a todos esos
            Que asesina el mundo
            Cada día 

Sólo soy cuerpo
Sólo estoy donde estoy
Sólo lloro eso que es al lado mío
– por honestidad intelectual, por afectos
No tengo suficientes lágrimas para llorarlo todo
Todos los muertos que hace el mundo cada día
Soy limitada
Soy humana
Soy imperfecta

Hoy no estoy en el Carillon
            Tuve que encontrar otro refugio
            En la calle Bichat aún
            Para hacer esto
            Escribir

Hoy no estoy en el Carillon
            Y quisiera gritar 

Hoy no estoy en el Carillon
            Y el sábado a la noche
            Lo vi llorar
            Y de manera contradictoria
            Fui feliz
            De verlo
            Vivo

Hoy no estoy en el Carillon
            Pero sé que no han muerto todos
            Por más que le escuchara decir
            “Sí, estoy vivo, pero…”
            Sacudido por el llanto
            En una dignidad sin palabras 

Hoy no estoy en el Carillon
            Donde esa familia venida de Argelia
            Fabricaba aquel lugar heteróclito
            Donde todas las edades
            Todas las profesiones
            Todos los colores
            Mathieu Amalric
            Agentes de la limpieza de la ciudad de Paris
            Ese hombre que seguro padece psicosis
            Quien le gusta el fútbol
            Padres que llevan a sus niños al cole
            El gato que ha elegido esta casa

Hoy no estoy en el Carillon
            Ahí donde el 7 de enero
            Sobre las 12h30
            Me enteré del imposible atentado
            En contra de Charlie Hebdo
            A apenas algunas calles

Hoy no estoy en el Carillon
           Estoy a 50 m
           Estoy acá
           No estoy en otra parte
           Vivo esto
           Lloro esto
           Escribo esto 

Perdonénme si no puedo
Llorarlo todo
 
Sólo estar
Donde estoy







dimanche 30 août 2015

POEMA DEL MAR (2)




(2) COSIENDO 

Navegamos otra vez
Cuidando
De no acercarse demasiado
A los barquitos de los niños
Volviendo a la gran urbe

Con el viento por delante
Cambiando las velas de un lado para el otro
Con el sol potentísimo
La piel rojiza del día anterior

Le daba la sensación de volar a ella
Mientras que él cuidaba de las velas
Hasta que

Se enredó la cuerda
Mal
La cuerda de la vela grande
La que se agarra del mástil

Dijo él que nada
Que no pasaba nada
Ella no sabía
No podía saber
Pensaba
A solas

Le dijo a él que se tomara todo el tiempo que hiciera falta
Sin saber nada

Cortó la cuerda con el cuchillo él

Para arreglarla habría que coser otra cuerda
A la recién cortada

Coser
Un hombre
En un barco
Nada que ver con la abuela de ella
Cortando y cosiéndole la ropa a su hijo
Un hombre, en un barco, cosiendo una cuerda con otra

¿Quién sabe de barco?
¿De los hombres de barco?
Ella no sabía
Sólo andaba descubriendo el Nuevo Mundo
Sin tener que cruzarse el Atlántico sola
Esa vez
En el ombligo mismo
Del Mediterráneo
De a dos

Se fue al sueño
Le dejó a él con la costura del navegar
Y otra vez fue acogida
A través del hombre que cosía cuerdas

Cuando el estruendo
De la vela de delante – la que va sin mástil
El estruendo casi de terremoto
Desencadenado sin más por el viento y los roces

El estruendo
El miedo – de cuando no se sabe
La sonrisa de él
Pidiendo disculpas
Esquivando buques
Las toneladas de mercancía, el petróleo, el capitalismo

El vuelo de él
De vuelta a la gran urbe
El saludo al dedo mentiroso de la estatua de Colón
Señalando las Américas del Mediterráneo

Y la ducha
Con el tubo de agua
En el mismo muelle
Como le gustaba a él
Como le gustó a ella
Con él

Juntos
Entrando y saliendo del barco
Pisando el mar y la tierra
La vela y el mástil
La duda
Y la certeza
 



 


(2) COUDRE 

On a navigué à nouveau
En faisant attention
A ne pas s’approcher trop près
Des bateaux des enfants
De retour vers la grande ville

Avec le vent de face – au près
Changeant les voiles d’un côté à l’autre
Avec un soleil de plomb
La peau rougie de la veille

Elle avait l’impression de voler
Pendant qu’il s’occupait des voiles
Jusqu’à ce que

La corde s’est enroulée
Pas comme il aurait fallu
La corde – drisse – de la grand-voile
Celle qui est accrochée au mât

Il a dit que ce n’était rien
Que tout allait bien
Elle ne savait pas
Elle ne pouvait pas savoir
Elle pensait
Dans son coin

Elle a dit qu’il pouvait prendre tout le temps qu’il lui fallait
Elle ne savait pas

Il a coupé la corde – la drisse – avec son couteau

Pour réparer il faudrait coudre une autre corde
A celle qui venait d’être coupée

Coudre
Un homme
Sur un bateau
Rien à voir avec sa grand-mère
Qui coupait et cousait les vêtements de son fils
Un homme, sur un bateau, qui cousait une corde à une autre

Que sait-on des bateaux ?
Des hommes de bateau ?
Elle ne savait pas
Elle était juste en train de découvrir le Nouveau Monde
Sans avoir à traverser l’Atlantique toute seule
Cette fois
Dans le nombril même
De la Méditerranée
D’être à deux

Elle est allée vers le sommeil
L’a laissé à la couture de la navigation
Et à nouveau elle a été reçue
A travers l’homme qui recousait les cordes

Quand le fracas
De la voile avant – celle qui n’a pas de mât
Un fracas comme de tremblement de terre
Déchainé juste par le vent et les frottements

Le fracas
La peur – de quand on ne sait pas
Son sourire à lui
S’excusant
Esquivant les paquebots
Les tonnes de marchandises, le pétrole, le capitalisme

Le vol
Le sien à lui
De retour à la grande ville
Saluant le doigt menteur de la statue de Colomb
Pointant les Amériques de la Méditerranée

Et la douche
Avec le tuyau d’arrosage
Sur le ponton
Comme il aimait
Comme elle a aimé
Avec lui

Tous les deux
Entrant et sortant du bateau
Sur la mer et sur la terre
La voile et le mât
Le doute
Et la certitude