A mon père,
Jean-Bernard Jarry
Le peu que je sais
De la Première Guerre
Mondiale
Me vient de ma mémé
Et de son fils
Mon père
Ma mémé est née en
1911 à Vincennes
Je crois que pendant
la Guerre
Elle est allée en
Creuse
Avec sa mère et son
frère
Pendant que son père
était envoyé au Front
Le père de ma mémé est
« rentré »
Je crois que ma mémé
et sa famille
Sont retournés vivre à
Vincennes
Le père de ma mémé
n’est pas « rentré »
Les gaz inhalés là-bas
L’ont emporté ici
Chez lui
Devant ma mémé
Je sais que ma mémé
aimait beaucoup son père
Qu’elle l’a perdu
avant d'avoir dix ans
Le premier mari de ma
mémé
Victor Perrotte
Est né en 1904 –
Son père à lui
Robert
N’est pas revenu du
Front
Il est mort
Avant le 11 novembre
Le 27 août 1918
Sur
sa tombe il y a une plaque qui dit
«
Soldat 13 410 – 412e RGT D’INF »
Le père de mon père
Est né en 1898
Ses deux frères ainés
Sont morts dans les
tranchées
Quand il a eu l’âge
Il y est allé
C’était la fin de la
Guerre
Il est revenu
Il était jeune
Il semble qu’il ait
souvent raconté
Comment il avait
échappé à un tir d’obus
S’était retrouvé tout
éclaboussé de boue
Si j’ai écrit le nom
Du premier mari de ma
mémé
Victor Perrotte
C’est parce que ce nom
est gravé sur un monument
Celui de la Croix des
Martyres
Du 8 juillet 1944
A Magnac-Laval
Dans la Haute-Vienne
Deuxième Guerre
Mondiale
Résistant
Dénoncé
Fusillé
Avec vingt-deux autres
personnes
Jean Jarry
Le rescapé de cet obus
de 1918 –
Pas encore père de mon
père
Sans avoir rencontré –
A mené une bataille
d'un autre type
L’historiographie
Pour la Mémoire
Pour qu'à l'endroit
même
Où est gravé
Le nom du premier mari
de ma mémé
Ne soient pas
confondus
Les véritables
assassins
Pour que soit gravé ce
mot
Que j’ai mis tant de
temps à comprendre
« Milice »
* *
*
Il y a un siècle
Ma mémé avait sept ans
Elle s’appelait Marthe
Elle aura porté quatre
noms
Leprat – Perrotte –
Dutroux – Jarry
Aujourd’hui
11 novembre 2018
Mon père
Jean-Bernard Jarry
Se tient devant le
Monument aux Morts
Où sont gravés 283
noms
Ceux des jeunes
soldats décimés au Front
En août 1914
Où on peut lire ce nom
Charles Guingouin
Père de Georges
Guingouin
Libérateur de Limoges
en 1944
Mais
ce serait une autre histoire
Depuis 1995 mon père
est le maire de Magnac-Laval
Ma mémé est morte en
1993
* *
*
Ma mémé m’a sauvée
Je lui dois la vie
dans la vie
Je lui dois mon père
Qui continue
(A gauche, ma mémé, vers 1930)
(A gauche, Georges Guingouin,
et à côté de lui, Jean-Bernard Jarry, mon père)
* * *
(Le livre de marbre fait faire par ma mémé en 1944
pour son premier mari, Victor Perrotte)
(Plaque de Soldat mort au Front du père
du premier mari de ma mémé)